Dans le reflet des prunelles sombres, se tapissent des millions d’étoiles.
La nuit a infiltré son voile dans cette cave sans fenêtre. Sa traîne piquetée d’épingles scintillantes flotte doucement contre les murs, mais semble encore nouée à la main du Corps. Auprès des phalanges encore posées sur la poignée de la claymore, ses plis se font plus visibles — presque tangibles.

Le Corps repose au fond de la cave, assis contre un mur, la tête baissée. Ses cheveux retombent en filaments graisseux autour de son visage affaissé. Il est pieds nus, et sa carcasse n’est cachée que par une chemise ouverte et un pantalon. Sa main libre gît sur le sol, paume ouverte vers le plafond, attendant que cette nuit factice s’y pose. L’autre semble sur le point de saisir l’épée pour la tendre vers l’intrus.

En face de lui, Saeed se rapproche. Lentement.
Il n’a pas vraiment de pudeur — non, il a vu des gens en pire état.
En entrant dans cette pièce, il s’est senti écrasé. Surpris, il a même failli tomber.
La nuit pourtant si légère s’est imposée en poids mort sur ses épaules. Elle retient sa course en enroulant ses mains poisseuses autour de ses membres — ses abdominaux se contractent en sentant des doigts se plonger dans son ventre. Genoux pliés, une main plaquée sur le mur, Saeed prend son temps. Contrôle son souffle. Inspire. Expire. L’adversaire est invisible, la joute d’autant plus difficile. Inspire. Expire. Il ne panique pas. Son regard ne quitte pas ce qui repose à quelques mètres de lui. Plus il avance, et plus le Corps lui semble desséché. On le lui avait expliqué. Il s’était emparé d’une lame au grand pouvoir — bien trop lourd pour lui. Pour la manier, il fallait un champion. Encore fallait-il l’atteindre.

Le plafond stellaire lui semble soudain plus proche. Plus flou, aussi. Saeed se frotte les yeux de sa main libre, avant de retenir un bâillement. Il sait à quoi cela lui fait penser. Quand il était petit, Ammi lui avait acheté une veilleuse pour l’aider à s’endormir. Et lorsqu’elle l’allumait, des dizaines de planètes, d’étoiles filantes et de licornes couraient le long des murs de sa chambre. Protégé par la horde factice, il fermait paisiblement les paupières.

Saeed se réveille. Le spectre iridescent de la Paresse s’élève toujours au-dessus de lui, et le toise de ses milliers de paires d’yeux.

Allongé sur le sol, il tourne la tête. Fronce le nez, piqué par le musc du Corps assis à côté de lui. Il discerne à peine le profil découpé par de longues mèches éparses. En se redressant, il doit soudain se tenir la tête entre les mains : la migraine lui compresse le crâne avec fulgurance. Se palpant l’arrière de la tête, Saeed soupire en ne ressentant que ses propres cheveux, humidifiés par la sueur qui roule le long de son échine. Son regard dévie vers la poignée de la claymore, qui se trouve toujours dans la dextre inerte, phalanges mollement figées autour du fer. Sa mâchoire pointe à travers sa joue. Il doit le faire. C’est ce qu’on lui a demandé. Exhorté, pour qu’il conserve la place durement acquise.

De ses doigts de carbone, Saeed desserre l’emprise du Corps sur l’arme. Son visage se fissure de dégoût, alors que la lame se libère, s’échouant sur le sol dans un bruit sec.

D’un coup, la nuit retombe, et sa torpeur se ratatine. Seule régit la noirceur et son vide, et pour seule présence, la silhouette qui se découpe au loin.

« Tu vois, tu étais capable d’y arriver. Bien plus que lui, c’est certain. On y va. », fait celui qui l’attend.

Saeed s’empare de la Paresse et la glisse dans le fourreau accroché son dos. Il se lève, se dirige vers la sortie, puis jette une œillade hésitante en arrière.

Pendant un instant, il lui a semblé entendre le Corps respirer.