Les rires s’éparpillent sous la voûte céleste; courtisent la toile ébène mouchetée d’astres taciturnes. Brouhaha des voix qui s’interpellent en coeur anarchique, tumulte d’une joyeuse cacophonie .
Il y puisait l’ersatz de son réconfort Hiro — dans ces présences superficielle.  Dans la chaleur artificielle d’un groupe d’amis qui de tangible n’avait que l’indulgence que sa mémoire capricieuse leur accordait. Il se contentait de leurs éphémères euphories, des joies factices qui s’épuisent sur la courbe des fabulations d’autrui.

Il n’était, après tout, qu’au croisement d’une nouvelle escapade, à l’aube d’une nouvelle rencontre. Les soirées n’existaient-elles pas pour en précéder une autre qui s’achèverait sur un énième vagabondage, un ultime black out? Il avait couru les rues de la capital au rythme des invitations échangées, bercé par la valse de leurs conversations alcoolisés. A Hiro qui se détacha de l’attroupement sous une excuse quelconque, une cigarette coincée entre les dents, ses boucles brunes agités par ce délicat dodelinement de son menton. Sourire de parade qui s’efface une fois libéré de la chaleur suffocante de l’établissement.

La lassitude le gangrène à peine que déjà, les contours d’une silhouette capturent son attention; un tracer pas assez familier qu’il se surprenait pourtant à relever. Un visage qu’on lui avait vaguement désigner — un faciès dont il peinait à pleinement se remémorer. Peut-être était-ce son manager qui l’avait d’abord constaté. Cette femme qu’il rencontrait un peu trop souvent, un peu trop brusquement, pour que ça ne soit pas inquiétant. Une seconde isolé. L’autre persuadé qu’il n’avait peut être pas été aussi seul qu’il le pensait.

Hey Hiro élève la voix, torture la pointe du tube de tabac de ses incisives hésitantes, incertain de la légitimité de son intervention — et si ça aussi il se l’inventait ? Je rêve ou tu m’as suivi toute la journée? Dans le fond il espérait que non, que c’était la fatigue qui parlait, ou une paranoïa excessive dont il devrait se défaire au plus vite.

Elle avait les yeux sombre la jeune femme — mais pas aussi opaque qu’on aurait pu le croire, comme si l’éclairage venait frappé le lac mazout de sa lumière doré,  bassin d’ambre liquide qui viendrait s’y infusé. Une mer d’encre qui ne saurait suscité aucune excitation — ne trahissait aucune joie, aucune peine, mais une détermination vaine. C’était différent. Différent de toutes ces fois où ses fans avaient pu être envahissants. La scène était similaire, égaré dans une rue à peine éclairée, là où quelques groupes égarés titubaient jusqu’au prochain bar ou à la prochaine soirée mais - il y avait définitivement quelque chose de différent. C’était là, dans le regard qu’elle posait sur lui. Il aurait presque pu s’imaginer assit sur une chaise de psy, il y trouverait la même attention polie.  Traverser la moitié d’un continent pour voir quelqu’un que l’on ne connait pas n’est clairement pas une bonne idée tu sais.

Hiro. Il observait le calepin tendu sans faire mine de s’en emparer - qui sait ce qui pourrait s’y rattacher? Parce qu’on se le dise, cette fille là semblait positivement timbré, pas moyen de s’en détacher. Comme toutes ces personnes qui vous fixaient avec un peu trop d’intensité. Une scène qui à bien des égards n’auraient pas dû lui inspirer un tel sentiment de familiarité. Quelles étaient les chances pour que l’un de ses accompagnateurs se soucis de son absence? Assez pour le chercher et lui donner une bonne excuse pour s’échapper? Sans doute aucun d’eux. Et quand bien même finiraient-ils par réaliser que le chanteur s’était éclipsé qu’il saurait trop tard pour le sauver — la femme s’était rapproché, se penchant vers lui pour lui souffler les braises de sa vérité.

Je vois. Plus rien ne le distrayait, ni le grondement lointain des passants ou le tourbillon de ses suppositions. Il m’est arrivé la même chose. L’inclusion soigneusement faisait émerger une pointe d’inconfort qu’il ne souhaitait pas identifier.  Il ne bouge pas, Hiro, porte sa main à la poche de sa veste pour en sortir un briquet qu’il rapproche de la cigarette coincé entre ses lèvres. Il m’est arrivé la même chose. Putain de merde.

Je suis navré que vous ayez été victime d’un accident de donjon. Il lui répond sans que son expression ne vacille, le regard toujours aussi lisse. Si la mémoire de l’homme se faisait volatile, le souvenir de sa mort et de sa résurrection demeurait imprimer contre la membrane de ses rétines. Se référait-elle à cet incident? Ou délirait-elle tout simplement. Le brun n’avait aucune envie de le confirmer — songer à cette journée suffisait à faire poindre l’ombre d’une migraine carabiné et d’un « tic tac » aussi assourdissant que régulier. Mais il existe des lignes d’écoute pour ce genre de traumatisme, bien plus adapté que moi.

Hiro fixait Gabriel.
Il devait bien l’admettre : cette fille là, toute drapée de son aura « particulière » et de ses sourires qui dessinaient des nymphe, était fort préoccupante. Elle jouait avec lui. C’est tout du moins l’impression qu’il en ressortait. Le chanteur, en règle générale, ne peinait guère à interagir avec un tierce, que ce soit avec un fan ou un stan. C’était quelque chose qui était resté, même une fois sa mémoire effacée, une habitude gravée dans les muscles de son visage, dans les cellules de son myocarde. Et, avouons-le, c’était la première chose qu’il avait eut à faire une fois sortit de sa chambre d’hôpital, rassurer des gens dont il ne connaissait rien mais dont tous le monde lui parlait. Mais ça, le fanatisme religieux, ou tout du moins la ferveur qui en résultait était une complication à laquelle il aurait voulu se dérober. Oui, il n’appréciait guère la tournure des évènements, et comptait les écourter le plus rapidement possible. Lentement, donc, il incline son menton, l’observant comme on pourrait le faire d’un animal très particulier et très rare. Était-ce le désagrément du doute qui venait plisser la peau de son front? Ou bien était-ce la naturelle répulsion que chacun ressentait face à une inévitable collision — catastrophe métaphorique qu’était la survenue de Gabrielle dans sa vie.

Parce que tu penses être différentes de ces gens là? Les mots avaient été glissés à voix basse, comme un secret, dans une intimité des plus discrètes. Il inspira une grande bouffée de sa cigarette avant de détourner le visage pour en expirer le nuage grisé. Hiro n’avait pas demandé avec qui il était lorsque l’incident était arrivé - n’avait aucun visage à rattacher aux noms qui auraient été cités. Il aurait pu dire tant de chose, décrier l’indélicatesse avec laquelle elle débarquait dans un quotidien déjà bouleversé — l’égoïsme qu’elle manifestait en se moquant bien de tout piétiner. De renvoyer Hiro au spectre d’une promesse qu’il n’avait pas pu achever. D’un regard qu’il ne pouvait retrouver.

« Rencontré », ça aurait été vrai si nous étions tombé sur l’autre par hasard. Là, tu t’imposes sans y avoir été invité, t’incruste dans ma vie privée et c’est assez moche, princesse. Parce que c’était une évidence qu’il se sentait tout de même obligé de souligner. Et franchement, je suis désolé que ça te soit arrivé mais je ne suis pas plus qualifié qu’un psychologue pour discuter de ça avec toi. Ce dernier pourrait peut être même l’aider pour d’autres soucis annexes.

Lasse, il laisse son épaule s’appuyer contre la pierre grise.
Lasse, il attend une réponse, une réaction.
Il n’était pas assez naïf pour croire que la demoiselle avait perdu tant de temps, tant d’énergie, pour le laisser tranquille après deux phrases jetées par terre, un peu pour faire beau, un peu pour faire laid. Il aurait aimé être ailleurs. Être aux côtés de la seule personne qui parvenait à distraire toutes ses pensées. Ou dans une pièce embrumée de trop de fumée où rien n’avait d’importance si ce n’est les chansons hurlées à en devenir aphone. Et tu n’as personne avec qui passer ta soirée? Quelqu’un qui n'était pas lui, cela va s’en dire.