Silencieuse et immobile, c’était une bonne façon de décrire la prisonnière à l’arrière de son fourgon. Pas par choix, de toute évidence, mais par peur, ou au moins la chose qui s’en approchait le plus chez la tueuse. Le vieillard face à elle semblait frêle, à peine à sa place et endormi, mais il était évident qu’elle était surveillée. Avec une insistance non dissimulée d’ailleurs. L’homme était prêt à sauter sur l’occasion de la passer à tabac au moindre geste ou signe qu’il pourrait ô si vaguement associer à un signe de rébellion. Et si sa force physique n’était probablement plus comparable à celle qu’il avait pu avoir dans sa jeunesse, elle avait laissé à la place à un demi-siècle d’expérience à brutaliser des prisonniers. Le vieux salaud savait faire mal sans avoir besoin de taper fort.

Il savait faire mal sans frapper aussi de toute manière, preuve en était les sangles bien plus serrées que de raison, certaines restreintes absolument pas nécessaire, mais placées par pur désir de rendre la vie plus difficile pour la captive et ainsi donner une opportunité à son gardien de la brutaliser. Un instant plus tard, le fourgon pénitentiaire s’arrêta et le bout d’une canne en bois s’écrasa violemment dans le pied de la jeune femme qui serra les dents. Grimacer ou même ouvrir la bouche ferait trop plaisir au vieux militaire, qui la poussa hors du véhicule en plantant sa canne dans le dos de la criminelle, estimant qu’elle prenait trop de temps alors qu’il avait lui-même enchaîné les chevilles de la demoiselle très près pour l’empêcher d’aller vite.

Finalement, elle parvint à s’extirper du fourgon, manquant de tomber et suivie de près par un militaire bien trop zélé pour son propre bien. La première fois que l’immigrée l’avait vu, elle avait cru à une blague. Finalement, c’était elle la chute, vu la façon dont elle était obligée de se soumettre et endurer la quasi humiliation du traitement du vieux. Si encore il était un fragile senior, les liens additionnels auraient été compréhensibles, mais non seulement ce n’était pas le cas, le masque muselant, lui, n’était clairement pas requis. Après tout, la jeune femme ne mordait pas. Ou alors pas fort. Ou alors elle ne s’en souvenait pas. Disons qu’il était possible qu’elle ait déjà tué ainsi, mais que ça ne l’avait probablement pas marquée.

Un petit groupe patientait déjà devant le portail, rapidement rejoint par… Dorumo Wada. C’était vraiment bien sa veine, les deux pires gardiens qu’elle pouvait avoir, ensembles. L’enfer sur terre, ou dans les donjons pour ce que ça changeait. Soudainement, elle n’avait plus qu’une hâte, rentrer chez elle. Elle s’approcha aussi vite que possible, à une allure comparable à celle d’un bébé tortue de mer courant jusqu’à l’eau pour échapper aux mouettes affamées, espérant être rapidement libérée de ses chaînes, sans résultat.

Saluant les chasseurs déjà sur place, c’est le vieux militaire qui prit la parole.

“ Colonel Iroku, enchanté de vous rencontrer en ce beau jour. Le Lieutenant Wada et moi-même vous accompagnerons pour ce donjon, ainsi que la prisonnière D-18473. D’ailleurs en parlant de cela…”

Le bout de la canne vint s’enfoncer dans son épaule, et instinctivement, la jeune femme recula d’un pas, puis d’un autre, jusqu’à se retrouver dos au portail. Elle fronça les sourcils, comprenant où l’homme voulait en venir. Il voulait la balancer là-dedans, sans être détachée ou même armée? Autant l’envoyer à la mort. Ce qui était visiblement son intention, puisqu’il força soudainement, le corps de la prisonnière disparaissant dans le donjon.

“ Bien, maintenant que cette vilaine chose est hors de ma vue, l’un d’entre vous souhaite t’il prendre la tête de l’expédition? Dans le cas contraire, je me ferais un plaisir de vous guider à travers ce donjon.”

Il semblait n’avoir cure du sort de la jeune femme qu’il avait jeté dans le portail, précisant même qu’il y avait une différence entre un être humain et un criminel, qui n’était “guère mieux qu’un animal” si on le confrontait sur ses actes. Pour autant, il restait respectueux envers les civils, n’hésitant pas à proposer son aide pour le transport de certains effets malgré son âge avancé, priorisant clairement la sûreté et le confort des chasseurs civils au reste.

A l’intérieur, la criminelle était tombée sur de l’herbe, dans la pénombre la plus totale. Immédiatement, elle ferma les yeux pour se concentrer sur son ouïe, cherchant à identifier un quelconque ennemi. Pourtant, rien ne répondit que le vent qui soufflait et l’herbe qui bruissait. Elle patienta un instant, sans pour autant avoir plus de réponse, et rouvrit les yeux, les laissant lentement s’habituer à une obscurité profonde.

Du coin de l’œil, une lumière vacillante, infime, qui disparut aussitôt qu’elle tourna la tête. Monstre furtif ou illusion d’optique, c’était encore dur à dire. Tout ce qu’elle pouvait espérer pour le moment alors qu’elle se relevait, c’est que le groupe ne tarderait pas. Sans être détachée, ses chances de survies étaient minces. Beaucoup trop à son goût.

Face à la défiance de la jeune femme, le vieillard se contenta de sourire, d’un air attendri qui semblait presque méprisant sur son visage. Lui aussi avait été jeune, rempli de morale et d’idées, convaincu que ses supérieurs n’étaient que de vieux imbéciles encroûtés dans leurs habitudes vieillissantes. Il avait fini par apprendre qu’à l’inverse, s’ils étaient arrivés à leurs grades, c’était aussi que leurs idées avaient une certaine valeur.

“ Je vois. Une bonne initiative, le donjon pourra être nettoyé plus rapidement ainsi. N’hésitez pas à appeler à l’aide en cas de besoin bien sûr. Notre devoir est envers les citoyens avant tout.”

C’était techniquement faux, puisqu’en tant que militaire, ses ordres passaient en priorité, mais il avait dévoué sa vie à la protection du peuple, que ce soit dans l’armée… ou dans le milieu carcéral. Il l’estimait tout du moins. En silence, il observa le petit groupe entrer dans le portail avant de se tourner vers son subalterne.

“ Lieutenant Wada, armez vous. Vous prenez la tête, nous récupérons D-18473 et commençons l’opération de fermeture.”

A l’intérieur du portail, la tueuse s’habituait à l’obscurité, mais pas à l’immobilité. Les lumières apparaissaient, flottaient et disparaissaient, restant toujours juste dans le coin de son champ de vision, comme si elles savaient parfaitement quand elles étaient vues ou non. Plus le phénomène se répétait et plus la jeune femme était persuadée qu’il ne s’agissait pas d’une hallucination, mais bien de quelque chose de réel. C’était potentiellement le premier monstre timide qu’elle rencontrait, et elle devait bien avouer ne pas du tout aimer la quantité qui semblait présente.

Son attention fût attirée par un bruit qui, malheureusement, ne provenait pas du portail. Des pas, au bruit ceux d’un corps petit et léger, qui se déplaçait rapidement dans sa direction. Dans l’obscurité, la détenue fronça les sourcils, se tournant de manière à pouvoir tenter d’intercepter le corps si celui-ci se révélait agressif. Les pas accélérèrent, jusqu’à soudainement devenir silencieux. Un arrêt soudain, ou bien est ce qu’il…

L’air lui répondit, sifflement discret d’un corps propulsé au-dessus du sol dans un ersatz de saut en longueur. Brusquement, avant qu’elle ne puisse se défendre, le corps la percuta, des mains s'agrippant à ses épaules et ses cheveux alors que des dents tentaient de pénétrer sa chair, sans résultat. Une colère sourde l’envahit alors que la créature continuait son inefficace assaut. Si elle avait été plus bas rang, le vieillard l’aurait probablement jeté à sa mort alors que la bestiole humanoïde lui arrachait la jugulaire sans qu’elle puisse se défendre.

La tueuse banda ses muscles, cherchant à ramener le plus possible ses bras vers elle, ignorant la douleur des sangles qui s’enfonçaient dans la chair, grattant centimètre après centimètre jusqu’à réussir à saisir ce qui semblait être un poignet. Immédiatement, les muscles se détendirent, laissant les sangles faire leur travail, projetant la créature contre le sol où elle resta sonnée un instant, se relevant une seconde trop tard alors que les chaînes des menottes de la jeune femme se retrouvait soudainement pressées contre sa gorge.

C’est criant sa frustration à l’encontre du vieux psychopathe que la jeune femme commença à resserrer, étranglant l’humanoïde, sentant la gorge du monstre craquer sous la pression alors qu’il continuait de se débattre. C’est le moment que choisit le reste du groupe pour entrer, accueilli par des jurons criés en allemand qui exprimaient toute la colère de la meurtrière, mêlés aux bruits gutturaux du monstre asphyxiant qui faisait son possible pour survivre. Remarquant la présence des nouveaux venus, la tueuse s’arrêta avant de les alpaguer en anglais.

“ Butez le au lieu de regarder!”

Sans arme ni rune, la détenue était condamnée à un combat lent et douloureux qui, pour peu que son adversaire soit un peu plus féroce que la chose qu’elle avait entre les mains, pourrait poser souci. Les premières étoiles finirent par apparaître, laissant planer une légère lumière sur le champ de bataille, révélant l’apparence de la créature comme celle d’un enfant humanoïde aux oreilles pointues et au teint rouge tomate, probablement à cause du manque d’oxygène.

Ça ressemblait à un gnome, et c’est sans surprise que l’allemande les rapprocha, à voix haute, du peuple tranquille de son pays d’origine. Et si les Stille Volk étaient présents, quelle était la suite du programme, des kobolds?

La combattante avait fait l’erreur basique de n’interpeller personne et de se contenter de vaguement désigner les nouveaux venus pour leur dire d’aider, ce qui, bien sûr, n’avait eu globalement aucun effet alors que la majorité du groupe se contentait de la regarder d’un air ahuri. Heureusement, l’un d’entre eux semblait plus dégourdi que la moyenne, intervenant immédiatement dans un déploiement d’effets pyrotechniques et de chaînes lumineuses qui la repoussèrent avant de consumer le nain dans une gerbe de flammes.

“ Merci.”

La jeune femme se releva, tant bien que mal au vu de ses attaches qui gênaient jusqu’à son équilibre avant d’observer plus sérieusement le groupe. C’était presque des mioches, probablement pas éveillés depuis longtemps et qui n’avaient aucune idée de quoi faire. Enfin, à deux exceptions, le jeune homme qui avait agi immédiatement, et qui avait donc gagné un semblant de crédibilité aux yeux de la chasseuse, et une femme aux cheveux lavande. L’allemande s’arrêta avant de plisser les yeux, comme pour essayer de se rappeler. Finalement, elle tenta quelque chose, d’un ton hésitant.

“ On se connait non? Presque sûre qu’on a déjà fait des donjons ensembles…”

Pour sa défense, non contente de n’avoir jamais vraiment prêté attention aux faciès des gens avec qui elle travaillait, elle était déployée trois à quatre fois par semaine pour des donjons, parfois plus, et elle ne pouvait pas décemment se rappeler de tout le monde. Le résultat, c’était qu’à moins de faire forte impression ou de la croiser à répétition, elle ne se rappelait de personne.

S’ensuivit un court échange sur la nature de la rune unique du jeune homme, qui bien qu’intéressante n’était pas vraiment l’apanage de la tueuse. Bien sûr, avoir connaissance des compétences des alliés était toujours bon à prendre, mais pour le coup, celle ci lui semblait relativement confuse. Plus elle était faible par rapport à l’adversaire, plus la rune aidait, mais plus elle était forte plus la rune aidait? Est ce que ça en faisait une sorte de courbe inversée qui en cas d’égalité entre les deux individus ne servait pas à grand chose?

Sa réflexion fût interrompue par une légère illumination du portail qui laissa échapper ses deux gardes, visiblement peu pressés par le temps ou la possibilité qu’elle agresse quoi que ce soit. A moins que ce ne soit prévu dans leur plan, histoire de pouvoir avoir une excuse pour la renvoyer au trou, ou simplement l'exécuter sur place… Ce n’était pas impossible, mais la tueuse devait avouer que la chose était bancale. Le vieux salopard avait beau être ça, il semblait au moins réglo envers les civils, et aurait probablement été le premier à s’opposer à leur sacrifice s’il n’en recevait pas un ordre direct, et les haut placés ne voulaient probablement pas l'exécuter non plus vu qu’elle se tenait bien, au moins pour le moment. Ou alors il y avait des tensions politiques dont elle n’était pas au courant et sur lesquelles elle ne pouvait pas agir.

Le changement de ton la laissa légèrement confuse ceci dit. Pourquoi est ce que la pseudo-commandante du groupe lui adressait la parole pour finalement détourner vers Gen?

“ Mais bien sûr.” Commença t’il d’un ton mielleux avant de continuer à l’attention de la prisonnière, nettement plus froid.” D-18473, rapport sur les monstres. Immédiatement.”

La tueuse réfléchit un instant, incertaine de quoi dire. Elle avait vu, en tout et pour tout, un seul monstre jusque là, était persuadée que les lumières attendaient le bon moment pour frapper et… c’était à peu près tout en fait.

“ Pas grand chose à dire. Une créature humanoïde de la taille d’un enfant, pas très forte. Assez rapide pour un donjon rang E, mais pas excessivement. Pas d’arme vu qu’elle a tenté de me mordre. Autrement, juste des lumières. Probablement des monstres, mais ils n’ont pas l’air de vouloir approcher.”

De l’index, elle désigna une direction, où quelques lumières blafardes étaient encore visibles, oscillant légèrement durant leurs déplacements. Le vieillard laissa échapper un bruit de gorge avant d’ordonner à son collègue de libérer la jeune femme, qui laissé échapper un soupir intérieur d’aise. Elle commençait presque à croire que le colonel tenterait de lui faire faire tout le donjon ainsi… Lui furent également passées deux épées courtes, qui lui serviraient donc d’armement.

“ Voila vos informations Mademoiselle. Avez vous besoin d’autre chose?”

En parallèle, le groupe de chasseurs civils avait lancé une attaque dans l’un des buissons proches, libérant une volée d’humanoïdes volants d’une trentaine de centimètres chacun, arborant une peau bleue et des dents pointues, en plus de l’air mauvais de qui est dérangé dans son embuscade. Une vingtaine de ces créatures ressemblant à des fées des pays nordiques se ruèrent immédiatement vers leurs cibles, se dispersant pour se retrouver à deux ou trois par personne, flottant autour des têtes pour tenter de mutiler leurs victimes à l’aide de leurs sortes de petites dagues épineuses.

A l’opposé, des bruits de pas se faisaient entendre, plus rapides, révélant une troupe de nabot à grandes oreilles, particulièrement laids. Les kobolds que l’allemande craignait étaient bels et bien présents, une demie-douzaine en l'occurrence, armés d’outils divers et variés allant de la pelle au sarcloir en passant par le tison… Ne restait aux forces de l’ordre qu’à choisir qui éliminer en priorité…