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tour 1 santé : 70/70vigueur: 3/3

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 Ukko prend l’avion, et se fait un nouvel ami. Il débarque au Japon, et passe la nuit à l’hôtel, avant de se rendre au donjon. Durant tout ce temps, il reste très préoccupé par ses réflexions sur le Japon, sa culture et son image à l’international.
 Résumé  


La vie de chasseur lui permettait plusieurs choses qu’il n’avait jamais envisagé jusqu’à présent. Le plan de sa vie, en fait, avait toujours été d’une très grande simplicité, et ce dès son plus jeune âge : faire comme son père. D’abord, parce que ça avait été la voie qu’il lui avait tracé, ensuite, parce qu’il s’était approprié ce projet. Qu’il y avait apporté certains ajustements essentiels. Il n’avait, jusqu’à très récemment, pas éprouvé le moindre besoin de voir autre chose que son bout de terre. C’était là qu’était sa vie, c’était là que ses besoins étaient assouvis, c’était là qu’il pouvait exister loin de l’œil inopportun de ses congénères. Son unique expérience hors-sol s’était avéré être un échec retentissant, et même aujourd’hui, même après avoir évolué - dans tous les sens du terme ; il n’était plus réellement humain, plus vraiment - il pensait être capable de tenir quatre mois en immersion dans un environnement urbain avant que ses réserves de patience ne soient anéanties, et derrière elles toute notion de retenue et de contrôle.

Mais la nouvelle motivation que l’entité responsable de sa métamorphose lui avait fourni lui permettait autre chose. Il avait, de fait, une raison de hanter un autre endroit que son territoire originel. Et cette raison suffisait à le renforcer. A lui permettre de retenir plus longtemps son souffle. L’idée de s’aventurer au Japon était également particulièrement plaisante : les médias de son pays voyait l’archipel lointain avec une fascination maladive, dont les causes profondes lui échappaient. Sa théorie personnelle restait qu’il représentait un mélange plaisant entre tradition exotique et modernité acharnée. La brève exposition qu’il s’était autorisé à internet et à la télévision l’avait également éclairé sur le sujet : dans un monde désenchanté, la vomissure permanente de produits culturels stérilisés et facilement appropriable permettait à la personne vide d’idéologie et de direction d’y imprimer ses propres fantasmes. Chose que le Japon lui-même encourageait avec frénésie.

« Et c’est pour ça que l’étranger qui voit ce pays par le prisme déformant des cheveux roses et verts des jeunes filles dont la présentation moderne permet de camoufler la nature profondément traditionnelle et soumise est condamné à ne jamais pouvoir toucher réellement l’objet de ses fantasmes. C’est d’ailleurs pour ça que toute cette œuvre est parcourue d’un tel sous-texte érotique. »

Il adressa à son voisin un grand sourire, dévoilant toutes ses dents. L’autre ne réagit pas, son t-shirt tendu sur un ventre trop mou. Il avait eu la chance de tomber sur un finlandais dans l’avion (il avait refusé de prendre le cercle de téléportation, ne faisant aucunement confiance à une technologie gouvernementale utilisant le même principe que les portails qui permettaient d'accéder aux donjons), et avait partagé avec lui ses observations initiales sur la fascination qu’exerçait sur le consommateur le japon. Les yeux de sa victime étaient perdus dans le vague, et un sourire crispé creusait ses joues. Ukko émit un petit bruit de gorge, et haussa légèrement les épaules, avant de se retourner pour reprendre la lecture du film mis en pause sur son écran. Un japonais de vingt-cinq ans incarnait un lycéen qui jouait au tennis pour préserver ses rêves et honorer la mémoire de son grand-père décédé. Ou quelque chose comme ça. Le scénario n’était pas spécialement important.

Quelques épopées cinématographiques plus tard, il descendait de l’avion et se dirigeait vers l’hôtel qu’on lui avait assigné. Il avait été accueilli par un employé gouvernemental qui portait un écriteau à son nom, et ce dernier, s’inclinant devant lui, l’avait amené vers une voiture propre mais vieillotte. A côté de lui, un chasseur plus important avait le droit à un accueil plus démonstratif. Ce n’était pas important. Arrivé dans sa chambre, pour laquelle le descriptif appliqué à son moyen de locomotion convenait également, il rangea ses affaires, s’occupa de son équipement, et alla se coucher. Il n’avait pas dormi durant tout le voyage.

Trop de monde autour de lui.

Il se réveilla tôt. Pris un petit-déjeuner composé de produits alimentaires transformés et d’un bol de nouille à la saveur iodée. Retourna dans sa chambre. Vérifia une fois de plus son équipement. Pris une grande, très grande inspiration, et se prépara à ce qu’il avait à accomplir aujourd’hui. Son gouvernement estimait qu’il avait un certain potentiel, et l’avait envoyé au Japon pour un programme de coopération : il devait bénéficier (lui et d'autres) de la tutelle d’une chasseuse expérimentée, et par la même occasion se familiariser avec les procédures que réclamait tout déplacement à l’étranger, et particulièrement dans ce pays hiérarchisé et procédural. L’idée, il était forcé de l’avouer, était bonne.

Il quitta l’hôtel, et prit le métro. Peu de temps plus tard, il émergea dans un quartier résidentiel ancien, loin de l’agitation permanente des districts centraux de la capitale. La densité y était inférieure, et il entra les coordonnées indiquées dans son GPS. Il avait à marcher jusqu’au parc d’Heiwanomori, dans lequel le donjon en question venait de se manifester, trois jours auparavant. Arrivé devant ce dernier, il trouva rapidement le point de rendez-vous : les cordons qui délimitaient le périmètre du donjon et les gardes en faction laissaient peu de doute possible. Il leva les yeux vers le ciel, et regarda la position du soleil, encore timide. Il était, comme souvent, très en avance. Il alla se trouver un un banc sous un arbre, et vérifia que son masque à gaz tenait bien sur sa face, et que ses vêtements tombaient à peu près correctement. Ce n’était pas parce qu’il avait confectionné lui-même son manteau de cuir doublé qu’il fallait avoir l’air d’un malpropre ou d’un gueux.

Il adressa un salut paresseux de la main aux policiers en faction, qui le fixaient d’un regard suspicieux, et il s’en retourna à ses réflexions sur l’état du monde et la volonté du gouvernement nippon de se construire une telle image. Il y avait quelque de suspect là-dessous.

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Ukko rejoint le groupe, et se présente brièvement. Il continue de philosopher, au moins intérieurement. Y s’en passe des choses dans la tête à Ukko.

Il s’était brièvement renseigné sur la culture nippone, parce qu’il n’y connaissait rien, et tous les rapports avaient été formels : une société hiérarchisé et conservatrice, qui ne goûtait qu’avec la plus grande modération à l’étranger qui n’était pas un touriste. Un endroit ou la présentation était clé, et où chaque interaction sociale obéissait à un mélange épais de règles de politesse et de convenance. Il ne s’était pas spécialement attendu à y faire bonne impression, et plutôt que d’avoir l’air balourd et maladroit, il préférait ne pas essayer. Mais ce qu’il avait sous les yeux suffisait peut-être à remettre en causes certaines de ses idées. Les gens en face de lui semblaient relativement détendus, et la criminelle qui visiblement devait les diriger semblait parfaitement détendue, même entourait de molosses à l’air particulièrement peu commodes. Il plissa les yeux en l’écoutant parler, se demandant s’il s’agissait là d’un piège. Si quelqu’un avait eu vent de quelque chose. Si le voile pudique qu’il avait jeté sur sa vie avait été percé. Si on voulait l’inquiéter, l’avertir, ou il ne savait pas quoi encore. Il se releva, dépliant ses jambes et se dégageant de l’étreinte du banc. Il en doutait. Et si c’était le cas, mieux valait de toute façon avoir l’air normal. Coopératif. C’était le mot. Coopératif. Utile. Bien intégré. C’était ça, le fil directeur, ce qu’il devait vendre.

Il était dans le pays de l’image, et il était pour apprendre.

Il s’approcha du groupe, laissant leur meneuse terminer son discours. Rapide. Concise. Efficace. Il pouvait au moins apprécier cela. S’arrêtant à une distance qu’il jugea pertinente, ni trop proche ni trop loin, il réitéra le salut qu’il avait adressé plus tôt aux policiers de l’endroit, y mettant tout de même un peu plus d’entrain. La main levée, il se présenta dans un anglais qu’il essaya de rendre présentable :

« Je suis Ukko Jaakkola, rang E, débutant, de Finlande. Enchanté de faire la connaissance de vous, et vous remerciant de votre sollicitude. Je avoir un peu de mal à parler anglais, mais je comprends très bien les paroles que toi tu édicter. Ravi de la coopération, et voulant être dans l’apprentissage, conclut-il en s’inclinant légèrement. »

Tout à fait satisfaisant, estima-t-il sobrement. Réprimant un souffle amusé du nez (il avait tendance à se déformer en un son que les gens trouvaient étrange en passant par les filtres de son masque), il se redressa de nouveau, et fit un rapide tour d’inventaire du groupe. Il avait en face de lui un contingent résolument féminin, ce qui le changerait. Au-delà de ce détail trivial, il nota l’apparente diversité ethnique du groupe. Ce n’était pas spécialement étonnant au vu du thème de la journée, mais c’était toujours une chose à prendre en compte : la barrière de la langue et des us et coutumes, pour ne pas parler de la façon que chaque pays avait d’aborder l’environnement particulier des donjons, tout cela était ici un facteur divisant plutôt que rassemblant.

Mais ce n’était toujours pas quelque chose qui devait l’intéresser aujourd’hui. Il devait rester discret, calme. La première chose à faire dans un environnement qui n’était pas familier restait toujours de le comprendre. De le dompter. De savoir où se trouvaient les pièges, et les bêtes mauvaises, et les havres de tranquillité. Après, et seulement après, on pouvait envisager d’autres projets. Et puis, il était à peu près convaincu de réellement pouvoir apprendre de cette journée. La personne en face de lui semblait expérimentée, et son expérience de criminelle était en vérité un point en sa faveur. Elle savait ce qui ne marchait. Ce qui avait comme conséquence l’enfermement et l’isolement. Le collier et la laisse qui serraient son coup n’étaient dans son cas qu’à moitié métaphorique.

Le reste du groupe était moins notable. Les gardes de la jeune femme, pas réellement des acteurs. Des gens qui allaient encadrer, et surveiller, et éviter tout problème. Quelques débutants, comme lui. Certains assez timides. D’autres plus attentifs. Rien qu’il ne puisse réellement chercher à comprendre pour l’instant. Ca viendrait, peut-être. Il se tint droit et attentif, voulant continuer de faire bonne impression, et attendit la suite des instructions.

Il était là pour être un bon petit soldat et un élève dont le nom était à inscrire au tableau d’honneur.

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 Ukko observe les gens, et surtout une personne. Il tire certaines conclusions. Il se plie à l’exercice imposé par la criminelle. Il pose une question. Il attend.

Il s’était attendu à beaucoup de choses. Ou plutôt, à un panel assez limité de possibilités. Il s’était trompé. C’était souvent le cas, quand il devait estimer comment se comportaient ses congénères ; il avait toujours du mal à réellement les comprendre, mis à part quelques situations précises ou la tendance s’inversait dramatiquement. C’était une chose sur laquelle il allait devoir travailler, et rapidement. Il adressa un salut de tête à la jeune femme, quand cette dernière tenta de lui dire bonjour. La tentative était louable, bien que maladroite, et il aurait de toute façon été étrange qu’il commente vu le niveau d’anglais qu’il adoptait. Hésitant un bref instant, il décida de faire un effort supplémentaire. Il lui adressa un salut de la main, le même qu’il avait un certain nombre de fois aujourd’hui, spécialement pour elle. Comble du luxe, summum de intimité. Il n’avait pas envie de la couper dans sa lancée, pas quand il semblait qu’elle avait beaucoup de choses à dire.

Il ne fut pas déçu. Plus intéressant sans doute que tout ce qui pouvait suivre, il eut un aperçu des petits jeux auxquels elle se livrait avec ses gardes-chiourme. Il n’était pas certain de tout comprendre, mais il n’avait pas besoin de parler la langue locale pour saisir la teneur de l’échange. C’était une histoire de lien, et pas de ceux qui unissaient les hommes. C’était une histoire mesquine, comme deux chiens maigres qui tiraient sur une corde : pas vraiment d’enjeu. Un peu d’ego, et des dents qui ne voulaient pas vraiment se montrer, et des grognements qui manquaient de conviction, et de mordant. S’il n’avait pas été averti sur la véritable nature de la jeune femme, il lui aurait été facile de la catégoriser : une caricature d’adulte, à la liberté atrophiée, qui manipulait maladroitement le peu de liberté qui lui restait. Qui s’amusait, comme un adolescent dans une cour, à faire peur à qui elle pouvait. Mais il savait. Et cette séparation entre ce qu’elle montrait d’elle et ce qu’elle pouvait faire, ou en tout cas avait un jour pu faire, cela l’intéressait. Il sentit à l’arrière de son crâne un tressaillement familier, qui menaça de s’étendre et de contaminer son échine comme un mauvais frisson d’hiver, quand le vent mauvais rentrait par la porte qu’on ne fermait pas assez rapidement.

Il la fit claquer. Il la cadenassa. Ses dents mordirent l’intérieur de sa joue, et il sentit le gout cuivré de son sang sur sa langue. Plus tard. Autrement. Pas ici. Il se concentra de nouveau sur ses paroles. Il avait raté le début, et elle parlait maintenant du danger que posait l’excès de confiance en soi. Il mordit son autre joue, la maudissant intérieurement. Peut-être lisait-elle ses pensées. Peut-être qu’elle savait. Est-ce qu’elle savait ? Il ne savait pas. Il ne fallait pas y penser. Elle ne pouvait pas savoir. Personne ne le pouvait, et il était en sécurité. Il la laissa finir, se forçant à suivre le conseil qu’elle lui adressait, à récupérer l’information pour ce qu’elle était. Elle lui disait de ne pas mourir, et c’était un conseil qu’il savait avoir du mal à s’appliquer. Car il savait comment faire pour ne pas mourir.

Et en ce moment, les futurs diminuaient au profit d’une seule certitude.

Il fallait, disait-elle, se préparer à la boue et au sang. Oublier la lumière que les affiches et la propagande promettaient. Eux étaient de l’autre côté, et ces images étaient faites pour les civils : la terreur sacrée que les donjons promettaient, les relents d’apocalypse, tout cela était conjuré de la même façon que d’habitude : par l’érection d’idoles. Il regarda brièvement autour de lui. Il ne voyait pas de marbre luisant qu’on pouvait sculpter pour convoquer Ajax et Ulysse. Quand on dévoila les monstres, qu’on retira la bâche qui occultait leurs formes élégantes, il ne put que concéder cette victoire à leur ennemi éthéré : lui avait dans son répertoire tous les monstres nécessaires pour éprouver les héros. Et cette histoire était la sienne. Il imposait au monde son narratif. Le triomphe de l’humanité n’était pas garanti, et en vérité plus que compromis.

Il le savait. Le système avait été assez désespéré pour le choisir lui. S’il savait la moitié de ce qu’il comptait faire, alors le terme même de désespoir était insuffisant.

Il regarda les créatures.

Trapues. Basses. Des corps compacts. Un jeu d’écailles coriace. Il se sentit proche d’elles, comme si on avait soudainement soulevé le couvercle d’un cercueil, et qu’à l’intérieur le visage heureux d’un membre longtemps ignoré de sa famille le regardait à travers deux paupières diaphanes.

Il s’approcha de la plus proche. Posa un genou à terre, et la toucha, doucement, tendant trois doigts qu’il voulut hésitants et non enthousiastes. Il sentit l’énergie qui subsistait en eux, chaude et vivante par-delà la mort. Il étudia leurs mâchoires, et traça le contour des muscles de leurs épaules. Il regarda leur griffe, une inspiration plus lourde que les autres produisant un bruit chuintant, et il suçota une de ses incisives, l’enveloppant dans sa langue encore gluante d’hémoglobine. Il regarda l’arrière train. Il se releva, fit un pas en arrière, et fit un vague signe de la main dans la direction de la bête, indiquant au reste du groupe qu’il pouvait l’imiter. Ou non. Il n’était pas spécialement intéressé. Il fixa son regard sur la criminelle, hésitant à lui parler. Devait-il le faire ? Etait-ce raisonnable ? Il y avait quelque chose à faire, de cela il ne pouvait pas douter. La vraie question restait de savoir s’il fallait le faire.

Il connaissait la réponse.

Il leva sa main dans sa direction, à plat dans les airs, le dos vers le ciel, et la secoua un peu, esquissant le geste universel : ça veut dire ce que tu veux.

« Ils sont prédateurs en embuscade, mais pas comme guépard. Eux être comme jaguar, plutôt. Avec forte détente, et contrôle chaleur. Peut-être feu. Je pas être certain. Mais si environnement donjon suivre logique notre monde, eux pas être prédateurs sur le dessus de la pyramide du manger. Je suis pas dans le rassuré. Jaguar est prédateur du dessus. »

Il aurait pu continuer. Etayer son observation. En partager d’autres, issues d’un domaine plus intime, qui demandait pour être conçues de penser comme il le faisait. Il ne le fit pas. Il ne le faisait jamais. Ce n’était pas pertinent.

« J’ai une question, fit-il à la place, son ton se faisant plus hésitant. Comment faire bonne réaction devant danger soudain, quand la formation se fait dans l’effondrement ? Tu dis il faut compter sur soi. A partir de quand, il faut vraiment compter sur soi ? A partir de quand groupe plus être groupe ? Car c’est conclusion logique de ce que tu dis. »

Toutes les armées, depuis l’aube de l’humanité, avaient tenté de supprimer le sentiment d’individualité. D’y substituer une confiance aveugle dans le groupe, dans la cohésion, dans l’objectif. De transformer l’individu en rouage. Il ne reprochait pas à la jeune femme son approche, au contraire. Bien au contraire. Mais il fallait relever. C’était son rôle. Et il voulait confirmer quelque chose.