Un zombie dans chaque main, la jeune femme courait droit vers le pack de sorciers, utilisant ses prises comme des boucliers humains et, surtout, des sacrifices pour sa bonne santé. Après tout, ils n’avaient pas besoin de la leur, alors autant qu’ils servent à quelque chose. Un premier rayon, puis un second, vinrent la percuter de plein fouet, sans qu’elle ne prenne la peine d’esquiver, laissant le monstre dans sa main gauche hurler de douleur, puis mourir, alors que son sang venait se lier à celui de l’autre paquet de viande putride qu’elle tenait. Un dernier rayon la frappa, cette fois dans une distance raisonnable, et soudainement, son sang fusa sous la forme de lances mi-liquide mi-solides pour venir se planter dans le corps des mages, créant ainsi un concert cacophoniques de cris de douleurs, lui arrachant un sourire sadique.

Elle jeta le zombie légèrement vers le haut, le rattrapant par la cheville avant de l’abattre avec violence sur le corps du mage le plus proche dans une gerbe de sang et de chair putréfiée. Le mage n’était peut être pas mort, mais les deux étaient très certainement incapacités pour le moment, et son attention se tourna vers les mages restants, évitant de justesse un rayon avant d’attraper le poignet de l’un d’entre eux pour le faire tourner, l’explosant dans son allié et sautant jusqu’au dernier, tombant dessus de tout son poids pour venir lui écraser la tête contre le sol.

Rapidement, la prisonnière se releva pour finir le travail, éliminant les morts-vivants encore à terre, pour ceux qui avaient survécu du moins. La plupart n’avait pas vraiment bien accepté son assaut brutal et gisaient au sol dans un état déplorable, ou simplement morts. Inspirant profondément, la jeune femme tourna la tête vers sa comparse, constatant qu’elle-même achevait son dernier monstre avant de tituber légèrement, comme soudainement affaiblie. Probablement pas habituée à enchaîner des combats pareils, surtout en infériorité numérique, elle avait sans doute légèrement surestimé ses capacités physiques. Elle était blessée aussi, mais ça ne paraissait pas trop grave. Du moins, ça ne le serait pas si elle pouvait se reposer, donc finir le donjon rapidement.

Leur regard se croisa, immédiatement rompu par la jeune fille, soudainement timide. Qu’est ce qui s’était passé pour que leurs positions s’inversent ainsi? Probablement pas les traces de sang sur la peau de la tueuse, qui jusque là ne semblaient pas gêner l’adolescente. Non, au final, ce n’était pas la prisonnière elle même le souci, mais bien la faiblesse et le besoin d’aide de la jeune fille, qui pourtant devait y être habituée? Elle avait dit elle-même sortir de l’hôpital, et visiblement y avait longtemps été… La tank semblait dans un état d’auto-apitoiement sur son état et sa faiblesse, finissant par s’effondrer presque sur l’un des bancs, ayant clairement besoin de repos, même court.

“ Tu imagines bien. Je suis combattante, pas mage. Tout ce que je sais faire, c’est tuer. Mais je peux te protéger oui, je passerais devant pour la prochaine salle.”

Elle ne releva pas la remarque sur le fait que la vie de la lancière était entre ses mains. En avait-il jamais été autrement? Si elle l’avait souhaité, elle aurait pu la tuer dès l’instant où elles avaient été séparées du reste du groupe, alors pourquoi cette remarque soudaine? C’est comme si elle en avait pris conscience seulement maintenant, sans que ça ne change grand chose à sa situation. Elle avait juste l’air de savoir que sa vie était en jeu sans réellement le comprendre. Peut-être qu’elle s’en moquait simplement?

“ Considère que tu es en vie, et que c’est déjà quelque chose. Pas besoin de justifier quelque chose de mauvais, tant que tu sais que ça l’est et qu’il faut le changer. Et si tu meurs, tu ne pourras pas le changer, tu mourras piètre chasseuse comme tu le dis. C’était quoi l’idiome déjà; l’histoire est écrite par les vainqueurs? C’est la même chose. Le plus important dans un donjon, c’est pas le fermer, juste en sortir en vie. Tant que tu arrives à faire ça, il n’y a pas de “piètre chasseur” qui tienne.”

La prisonnière vint s’asseoir à côté de la jeune fille, ses longues jambes venant prendre appui sur le banc de devant, prête à continuer la conversation si celle-ci le désirait, au moins le temps que la blessée reprenne des forces. Pour autant, elle devait bien l’avouer, elle ne s’attendait pas à une remarque pareille, pas plus qu’elle n’aimait vraiment la tournure de la discussion. Sa mère… était définitivement une grande musicienne. C’était difficile de dire le contraire quand on qualifiait son niveau d’international. Combien d’artistes classiques pouvaient prétendre à cette appellation, et parmi ceux-ci, combien pouvaient prétendre être comparés aux grands noms de leurs instruments respectifs? Au moins une, Renata Rosengarten… Malheureusement, elle était aussi extrêmement stricte et voulait fermement voir sa fille prendre sa relève.

“ C’est… une bonne musicienne oui.”

Des mots lâchés à contrecœur, comme si l’allemande peinait à reconnaître la moindre qualité à sa génitrice. Des mots qui laissaient aussi entendre que, quelque part, elle n’était pas une aussi bonne mère que musicienne. Elle n’irait pas plus loin, n’étant pas vraiment à l’aise avec l’idée de dire du mal de sa famille, mais si quelqu’un avait pu lire ses pensées, ils y auraient probablement vu que tout n’était pas rose chez les Rosengarten. Oh, ses parents l’aimaient sûrement oui, mais ils étaient aussi incroyablement stricts, bien trop, et ne s’étaient jamais rendus compte à quel point leur fille étouffait de cette discipline forcée.

“ J’aurais du mal à dire que je suis aussi douée qu’elle… Peut-être que si j’avais persévérée, j’aurais fait des tournées avec elle aujourd’hui. A la place…”

Elle haussa les épaules, comme pour désigner sa situation d’un air laconique. Qui irait écouter les récitaux d’une jeune femme connue presque exclusivement pour son record astronomique de morts sous la ceinture? Et avant même cela, qui irait l’autoriser à en faire un, même virtuel? Si elle négociait bien, peut-être qu’on l’autoriserait à avoir accès à des sites de diffusion en ligne, mais même là… C’était peu probable.

“ Et toi, des compétences musicales? A part l’écouter je veux dire. Ou un talent quelconque que tu n’utilises pas?”

Elle ne s’intéressait pas souvent aux gens, mais sentait que c’était à elle de relancer la conversation, plus ou moins. En fait, elle se demandait même si en se taisant, la jeune fille ne risquait pas de s’endormir, ou pire. C’était ce qu’on apprenait aux gens en cas de malaise non? Parler à la personne pour la forcer à rester consciente…

L’allemande laissa sa tête tomber en arrière en entendant la réponse de l’adolescente. Elle savait ne pas être une gagnante, pas de souci. Elles étaient engagées pour fermer les donjons, c’était vrai et elle marquait un point, même si l’une d’entre elles était plus forcée que l’autre. Mais la tueuse ne savait que répondre face à l’optimisme désarmant de la jeune fille qui pensait pouvoir remporter la guerre contre les portails. Est ce qu’on pouvait même engager un conflit contre eux? C’était peut-être aussi simple que de se lancer dans une guerre contre les tempêtes ou les séismes… Et c’était au moins tout aussi simple de le gagner… Qu’est ce qu’elle pouvait répondre à ce genre de remarque? Probablement rien, la maladive avait déjà très probablement entendu la même rengaine encore et encore, une fois de plus ne changerait rien, d’autant plus de la part d’une tueuse en série.

Finalement, elle soupira. C’était compliqué cette affaire.

“ Je voulais jouer, au moins au début. J’avais l’impression que ça me rapprocherait de ma mère. Et plus j’ai grandi, plus j’ai haï l’instrument. Parce que je ne voulais pas haïr ma mère j’imagine. Alors qu’en vrai, je n’étais juste pas la fille parfaite que mes parents espéraient.”

Elle éclata d’un rire cristallin, léger, comme si ça n’avait aucune importance. Peut-être parce que ça n’en avait plus, au moins pour elle. C’était un nœud gordien qu’elle avait tranché sans hésitation de toute manière. Pas que l’inverse soit vrai, pour une raison qu’elle peinait à comprendre, ses parents continuaient de tenter d’entrer en contact avec elle.

“C’est drôle, parce que personne n’est jamais venu me demander pourquoi j’avais fait ça. Ils ont émis des hypothèses, suggéré que j’étais cinglée, inadaptée à la société, mais pas une seule fois quelqu’un est venu s’asseoir en face de moi pour simplement dire “Pourquoi”. Alors j’imagine que tu peux assumer ce que tu veux, tu seras pas la première de toute manière.”

C’était ridicule quand on y pensait. Tant de morts, de pleurs, de bruits, de “Cette femme est folle”, mais au final, personne n’avait l’air d’avoir tenté de comprendre. Pas qu’il y avait quoi que ce soit à comprendre en réalité, mais c’est comme s’ils se complaisaient dans leurs petites pensées sans chercher à savoir ce qu’il y avait en dehors. Des renifleurs de pets, tous autant qu’ils étaient. Elle fût sortie de sa réflexion par un contact contre son épaule, la tête de l’adolescente visiblement exténuée. Au point de faire une sieste dans un donjon? Peut-être que la tueuse avait vraiment surestimé l’endurance de son acolyte, alors qu’elle n’en avait aucune attente initiale; et ça, c’était vraiment inquiétant pour la suite.

Finalement, la jeune fille révéla que non, elle ne s’était pas endormie, quand bien même on aurait pu y croire vu son silence, notamment en le brisant pour parler d’ordinateurs. Là, la tueuse ne maîtrisait pas. Elle savait s’en servir, qui ne savait pas aujourd’hui, mais ça s’arrêtait globalement là. Lui en demander plus serait une erreur. La question devenait donc, pourquoi est ce que la jeune fille avait préféré les donjons, une activité où elle était clairement inadaptée à travailler dans un centre de réparation ou un truc du genre? Est-ce que les donjons lui avait fait quelque chose personnellement ou…

Non, contrairement à la nature. Elle était juste… née différente. Malade. Pas d’une maladie très agréable de ce qu’elle expliquait. Et puis coup du sort, guérir de l’éveil. Peut-être que c’était une marque de pitié de l’indifférente Dame Nature. Peut-être que c’était ça la source de la “guerre” dont elle parlait. Juste la colère d’être prise pour une conne par un univers qui s’en foutait. Pas un sentiment que la meurtrière était incapable de comprendre pour le coup. Qu’est ce qu’on pouvait faire contre ce genre de truc? Pas grand chose à part se rebeller et taper du pied, le plus souvent sans résultat. Libre à elle d’essayer ceci dit.

Qu’est ce qu’elle était censée répondre à ça au juste? Probablement une fausse pitié ou quelque chose du genre. C’était ça qu’on attendait d’elle? Sans doute pas, la jeune fille ne paraissait pas attendre quoi que ce soit, alors la tueuse resta silencieuse, attendant simplement de voir si la respiration de la gosse allait continuer de ralentir, trahissant un assoupissement, ou non.

Lui rendre la pareille… Qu’est ce qu’elle voulait bien pouvoir faire avec une tueuse emprisonnée incapable de faire un pas hors de chez elle sans chaînes aux pieds, condamnée à rester un chien de l’état sauf miracle? Sans doute rien. Sans doute que c’était juste une politesse comme une autre. Finalement, la respiration de la tank s’apaisa, son corps s’amollissant légèrement et le silence tomba dans la salle de prière. La tueuse patienta un instant, histoire d’être sûre, mais non, la jeune fille s’était bel et bien endormie.

Soupirant, la prisonnière sortit une vieille montre à gousset de l’intérieur de son haut, réfléchissant vis-à-vis de l’heure. Au mieux, elle pouvait lui laisser trente minutes, pas plus. Au-delà, les choses deviendraient compliquées. Si le reste du groupe était dans la même situation qu’eux, elles risquaient de tout retarder, et s’ils parvenaient à tuer le boss avant leur arrivée, elles n’auraient que quinze minutes pour nettoyer un nombre inconnu de salle… Non, plus d’une demie-heure devenait compliqué, d’autant plus sans moyen de communication avec les autres équipes.

Pour autant, elle attira le corps amorphe de la jeune fille pour l’allonger, la tête reposant sur ses cuisses. Une position probablement plus confortable que de dormir assise, même si un banc de prière n’était sans doute pas le meilleur endroit pour dormir de toute manière. Restait juste à attendre le réveil de Princesse… Princesse comment en fait? Il faudrait lui demander à son réveil. Ça et découvrir le reste du donjon…

Une demie-heure plus tard précisément, la tueuse agiterait légèrement le corps de l’assoupie pour la réveiller.

“ Allez, debout princesse, on a encore du boulot, et on ne peut pas se permettre de prendre trop de retard.”

Restait juste à trouver le téléporteur de la salle donc.