La jeune femme à l’arrière de sa camionnette devait bien l’avouer, elle ne savait pas quoi penser de l’homme assis face à elle. C’était un homme, elle en était à peu près sûre, que ce soit au niveau de sa morphologie ou de sa voix. Probablement assez âgé également, proche de la soixantaine sûrement. Il s’était présenté comme Slane Taylor, nouveau garde, mais il semblait… un peu perdu? Au début, il avait cru qu’il était censé la protéger elle, ce qui l’avait fait sourire. Est ce qu’il n’avait pas été briefé ou est ce qu’il souffrait d’un début d’Alzheimer, ça l’allemande l’ignorait, mais au moins, il semblait plus proche des Sato que du vieux crevard. Il avait même tenté de lui faire la conversation pendant le trajet, ce qui était relativement surprenant. La plupart de ses gardes lui donnait ses écouteurs et cela lui suffisait, mais il semblait ne pas avoir trop compris. A moins qu’il ne cherche simplement à la connaître, auquel cas ça se justifiait, même si elle ne comprenait pas trop.

Il parlait doucement en tout cas, d’une voix basse assez agréable à entendre qui s’interrompait occasionnellement pour la laisser répondre ou, comme maintenant, quand le fourgon s’arrêtait. Deux coups toquèrent sur la porte et le vieil homme masqué se leva avec un sourire digital pour ouvrir les portes avant de l’aider à se lever et descendre, en oubliant visiblement qu’il était censé ne jamais lui tourner le dos. Même si elle était ligotée, menottée, sanglée, Yuki lui avait expliqué certains des protocoles, notamment celui-ci. Ils avaient ordre de ne jamais la quitter du regard, pour s’assurer qu’il ne se passe rien… Juste au cas où.

Elle se leva seule avant de descendre d’un petit bond, contemplant son environnement. Elle avait été obligée de se lever tôt et de se taper près de trois heures de trajet pour arriver elle ne savait où à une heure raisonnable, tout ça pour… Pas grand chose très sincèrement. Ça ressemblait à un petit village isolé, avec un petit portail et des petits problèmes. Le genre d’endroit où elle aurait sûrement bien aimé vivre si elle avait été libre. Peut-être qu’elle pourrait demander à faire déplacer sa résidence dans le coin si elle fermait un donjon de rang S ou deux? Négocier des bonus devait bien être possible…

Masato était parti discuter avec un homme en uniforme, probablement pour un débrief du donjon si information il y avait, ou peut-être juste pour le saluer. Il ressemblait au genre de type qui avait des amis partout, ce n’était pas impossible, et il comptait sûrement sur le nouveau garde pour la surveiller. Nouveau garde qui… flânait. Il était resté à proximité, mais ne paraissait pas trop s’occuper d’elle, visiblement occupé à admirer le village, sans doute avec les mêmes préoccupations qui l'habitait elle quelques instants plus tôt. Un instant, la tueuse se demanda comment ce type avait réussi à avoir ce boulot, ou même s’il avait compris en quoi il consistait. Le fait que ce soit la prisonnière même qui s’inquiétait de ce genre de détail ne présageait probablement rien de bon pour son futur, mais elle ne serait pas responsable de cela.

Son attention se reporta sur la personne qui l’approchait, curieuse. En général, les japonais se tenaient loin, très loin des prisonniers, et ne les tolérait qu’à peine dans leurs donjons alors que c’était leur gouvernement lui-même qui les y envoyaient. Pas que ce soit les seuls d’ailleurs, Jairo était la preuve que d’autres pays étaient bien content de pouvoir employer la main d'œuvre carcérale pour ça. Preuve en était, la gamine n’était pas japonaise. Il n’y avait pas tellement d’autres termes qui venaient à l’esprit de l’allemande en voyant la jeune femme autre que “gosse souffreteuse”. Dire que rien allait était probablement une exagération, mais entre ce cache-oeil qui ne semblait pas purement cosmétique, sa carrure digne d’un cancéreux en phase trois et sa démarche presque hésitante, prétendre qu’elle était sûrement une jeune adulte en pleine santé était difficilement envisageable. A l’inverse, elle semblait n’avoir aucune peur en s’approchant de la tueuse. Probablement l’effet des sangles, on s’inquiétait moins d’une prisonnière incapacitée par l’équivalent d’une camisole de force pour éveillé de haut rang, même quand elle avait un historique chargé.

C’était même d’autant plus étrange que la jeune fille la reconnaissait. C’était presque perturbant en fait. Être reconnue, ce n’était pas la première fois, mais être confrontée ainsi par une autre chasseuse? D’habitude c’était l’inverse, les gens l’évitaient d’autant plus activement, comme s’ils risquaient quelque chose simplement en étant en sa présence. Des imbéciles, tous autant qu’ils étaient. Ils n’avaient aucune idée de ce qui se passait dans sa tête, mais se croyaient en danger comme si elle leur accordait la moindre importance.

La jeune femme resta silencieuse un instant face à la question hésitante de l’adolescente, la décortiquant comme pour y chercher un sens caché, sans vraiment en trouver. Elle décortiqua la jeune fille, aussi. Bel œil gris, vêtements légers, une couleur de cheveux qu’elle ne pouvait que cautionner puisque proche de la sienne. Plutôt mignonne dans l’ensemble, si ce n’est cet oeil caché qui devait en perturber plus d’un. Au vu de l’accent, elle n’était européenne, ou alors d’une région que la tueuse n’avait pas visité. Américaine alors? Sûrement. Ou canadienne. Ou Islandaise. Ou n’importe quelle zone où elle n’avait jamais fichu les pieds. Ce qui était sûr, c’est que le japonais n’était clairement pas sa langue natale, aussi, c’est en anglais que l’allemande répondit, d’un ton poli où pouvait s’entendre une sorte de curiosité.

“ Elle-même.”

Elle haussa un sourcil à la question de la jeune fille. D’accord, ça, elle ne s’y attendait pas. Enfin, elle ne s’attendait à rien concrètement, mais elle était quand même surprise. D’abord le gouvernement qui voulait la voir tenter de jouer les nounous pour un groupe de débutant et maintenant c’était les débutants eux-même qui venaient la chercher? Elle était pourtant presque certaine de ne pas être une très bonne professeure… Elle aurait pu se contenter de dire “Non” et s’arrêter là, mais pour être honnête, pour une fois que quelqu’un l’approchait sans lui cracher dessus, même si c’était intéressé, elle pouvait au moins faire l’effort d’être polie en retour.

“ Probablement pas. Dépendra des libertés qu’on me laisse. Tu utilises quoi comme arme habituellement?”

C’était, finalement, un peu la question piège. La jeune femme elle-même utilisait tout ce qui lui passait sous la main à la condition qu’il y ai un bout capable de trancher ou découper, et quand il n’y avait rien, il restait toujours ses dents et ses mains, même si c’était loin d’être le plus agréable ou efficace. Si la gamine utilisait quelque chose comme un arc ou approchant, ça risquait d’être compliqué d’apprendre, quand bien même elle pourrait toujours essayer de lui apprendre ce qu’elle avait pu voir d’autres chasseurs.

C’est le moment que Slane choisit pour se retourner, remarquant finalement que quelqu’un était actuellement en train de communiquer avec la prisonnière qu’il était censé surveiller. Il se rapprocha rapidement pour se placer entre les deux, son masque affichant un air concerné.

“ Vous ne devriez pas vous approcher Mademoiselle. Même attachée, cette jeune femme est dangereuse, et il serait dommage qu’il vous arrive quoi que ce soit.”

Il parlait du ton d’un vieil homme s’inquiétant pour ses petits-enfants plus que de celui d’un gardien de prison censé surveiller une dangereuse tueuse en série parmi les plus prolifiques des deux derniers siècles. A se demander s’il en avait même conscience. C’est Masato qui interrompit les choses un instant plus tard de toute manière, en signalant qu’ils allaient entrer dans le donjon. Libérée de ses entraves, la jeune femme s’étira quelques instants avant de retirer son haut, restant ainsi sur son débardeur court habituel dans lequel elle estimait pouvoir se mouvoir le mieux.

Dans son habituelle bonté d’âme, Masato lui avait fourni ses armes de prédilection, un hache courte et quelques haches de jets, en plus de prendre la tête de l’expédition, là où le vieux con l’avait jeté encore attachée dans un donjon récent…

A l’intérieur, l’entrée débouchait sur la nef d’une grande basilique, visiblement plus que luxueuse. Malgré l’épaisse couche de poussière omniprésente sur chaque banc et la lumière ténue traversant les vitraux encrassés, il était difficile de nier la richesse apparente du lieu. Si aucun monstre n’était encore présent, une épaisse odeur de mort trônait dans l’endroit, qui mît rapidement le groupe sur les dents. La seule question qui régnait vraiment désormais, c’était… Où étaient les ennemis?

La jeune fille regardait ses mains, et la tueuse comprit, bien que surprise. La gamine se fracassait à mains nues? Probablement une preuve qu’il ne fallait définitivement pas juger quelqu’un à son apparence, puisqu’à choisir, la prisonnière aurait juré que la jeune fille était probablement une sorte de mage ou une autre… La correction ne manqua pas de tomber un instant plus tard, de la bouche même de la concernée. Ce n’était pas qu’elle se battait à mains nues, simplement qu’elle n’avait rien, et que par conséquent, elle prenait ce qu’elle pouvait. Une coïncidence malheureuse au vu de son origine, mais amusante tout de même pour la ligotée, qui exhiba un sourire en coin dont le sens restait probablement incertain pour son entourage. Amusée par leurs circonstances similaires, ou amusée de la faiblesse de la jeune fille qui finirait sous une hache pour peu qu’elle en décide ainsi?

A l’inverse, c’était potentiellement parfait pour la malade si elle pouvait faire de la sociopathe son instructrice. Partir de rien, c’était arriver n’importe où, et il aurait été bien plus difficile de lui enseigner si elle était déjà formée d’une façon spécifique. Là où les choses risqueraient de coincer, c’était selon sa forme physique et ses capacités associées. Elle semblait frêle, ce qui pouvait être gênant sur le long terme, et est ce qu’elle avait même les bras pour agiter un bout de métal tranchant dans tout les sens sur une longue période? Ou même sur une courte période… La première étape pour elle, c’était sûrement un entraînement physique rigoureux, pour avoir l’endurance de se battre, quelque chose que les gens sous-estimaient souvent au début… Jusqu’au moment où ils étaient submergés par une horde ininterrompue de monstres, même de bas rang.

De son côté, le soigneur ne perdait pas sa contenance. La jeune femme face à lui avait l’âge d’être sa petite-fille, et si elle ne semblait pas prêter attention à son corps ou son futur, lui le faisait, sans avoir besoin de connaître son passé.

“ Je pense que si, et que vous devriez probablement vous soucier de votre corps un peu plus. Vous avez de longues années devant vous, il serait dommage de les jeter pour avoir été un peu trop curieuse, ne croyez vous pas?”

Borgne ou pas, malade ou pas, l’homme était optimiste quant au futur. Après tout, elle semblait déjà avoir vécu le pire, le reste de sa vie ne pouvait être que plus facile en comparaison. Tristement, il se rendait également compte que c’était de ce même fait que la jeune fille face à lui découler son attitude auto-destructrice actuelle. Elle estimait probablement n’avoir plus rien à perdre de plus, quand lui voyait le temps restant. Est ce qu’il pouvait lui faire comprendre? Probablement pas…

Est ce qu’il pouvait lui faire comprendre que, généralement, il valait mieux ne pas toucher aux objets exhibés dans un donjon, sauf cas d’extrême urgence? Probablement, même si l’idée lui vint un brin trop tard. Il était resté sur ses gardes en voyant la jeune fille s’accrocher à la prisonnière, qui était restée silencieuse mais arborait un air visiblement perplexe, certainement peu sûre de comment elle devait réagir à cette attention. Le vieil homme avait jeté un coup d'œil vers Masato, comme pour demander s’il devait les séparer, mais celui-ci avait nié de la tête, lui intimant seulement de surveiller. Une bonté d’âme qui le perdrait sûrement dans le futur, mais que le soigneur ne pouvait que respecter. Un homme capable d’être aussi clément même envers une prisonnière pareille méritait au moins cela, du respect.

Le problème, c’est que l’instant où la jeune fille avait pris cette arme, elle avait disparue. Immédiatement, le reste du groupe s’était mis en alerte pour chercher à déterminer s’il s’agissait d’une sorte d’invisibilité forcée ou de pire. Et la réponse, c’était pire. Ils ignoraient où elle était, mais elle ne répondait pas, et pire, elle n’avait pas disparu seule. Que ce soit par sa proximité avec la tueuse ou pour une autre raison, les deux avaient disparu ensemble, et une goutte de sueur perla immédiatement sous le masque. Ça, ce n’était vraiment pas bon pour leurs grades à Masato et lui.

La salle dans laquelle les deux jeunes femmes étaient arrivées était sombre, c’était le moins de le dire. Sans être réellement placée dans l’obscurité, il fallait reconnaître que la tueuse avait dû prendre un instant pour se réhabituer à cette nouvelle luminosité blafarde. L’environnement aussi avait changé, désormais plus proche des cimetières chrétiens installés à l’arrière des églises dans certains pays. Visiblement, sa supposition n’était pas si loin de la vérité puisque la basilique dans laquelle elles étaient encore un instant plus tôt se trouvait encore derrière elles.

La jeune fille semblait légèrement confuse sur ce qui venait de se passer, mais avait au moins la présence d’esprit de se rendre compte que quelque chose était arrivé, ce qui était un bon début. Certains seraient restés figés stupéfaits…

“ Probablement. Et pour répondre à ta question, non, il n’y a pas de raison particulière, même si une guilde particulièrement rapace pourrait vouloir la récupérer à la fin du donjon. Par contre, tu veux sûrement mieux la tenir, genre…”

La tueuse s’approcha de derrière pour poser ses mains sur celles de l’adolescente, l’invitant à les déplacer vers le milieu du manche.

“ Normalement, comme ça tu peux la porter et la manier sans trop d’efforts.”

Elle libéra la jeune femme de son emprise, la laissant essayer d’elle-même et expérimenter avec l’arme. Même si ce n’était guère plus qu’un conseil de base, savoir comment tenir une arme était la base des bases, en plus d’être sûrement une des leçons les plus importantes à apprendre au début. Une leçon qu’elle allait pouvoir mettre à profit immédiatement au vu des premiers bruits de gorge qui se faisaient entendre, des corps en décompositions commençant à se relever de certaines tombes. La prisonnière en décomptait déjà trois, avec deux autres mottes de terre en train de se relever également.

Comment est ce que la jeune fille nouvellement armée allait réagir face à cela? Au vu de son attitude, elle ne risquait probablement pas de fuir, ce qui intéressait la tueuse, c’était surtout de savoir comment elle allait prendre le combat…

As-tu une idée de comment te battre avec ça, c’était probablement la question que la jeune fille comptait poser avant d’être interrompue par les monstres. La réponse était oui, la tueuse savait utiliser plus ou moins correctement n’importe quelle arme de corps à corps, souvent pas très bien, mais au moins assez pour pouvoir se défendre sans passer pour une imbécile. Il fallait bien, quand elle débutait elle n’avait rien et s’était contenté de piller ce qu’elle pouvait, ou d’emprunter quand il le fallait… Et au final, c’était une expérience qui était plus qu’utile aujourd’hui, où son armement était plus ou moins à la merci de ce que ses gardes voulaient bien lui ramener.

Ceci dit, la prisonnière n’avait aucune intention de donner plus de conseils que cela pour le moment. La maladive voulait apprendre à mieux se battre? C’était un objectif comme un autre, sauf que pour “mieux” se battre, il fallait au moins un point zéro avec quoi comparer dans le futur. Le souci, c’est que plus le combat avançait, plus l’allemande se rendait compte que le point zéro était réellement un “point zéro”.

Du côté positif, son élève improvisée prouvait avoir une bonne conscience de ce qui l’entourait, position des monstres comparée à la sienne, stratégie de bataille improvisée, suffisamment de témérité pour ne pas reculer quand ce n’était pas nécessaire, le brin de calme requis pour ne pas se laisser emporter par l’ardeur du combat… Pour parler simplement, elle avait ce qu’il fallait pour pouvoir briller sur le long terme.

Du côté négatif, elle était, à l’heure actuelle, inutilisable ou presque. Si elle avait eu un entraînement, celui-ci ne se voyait pas dans sa façon de se battre, et tout n’était pas excusable simplement par le fait qu’elle n’avait sans doute jamais tenu de lance de sa vie avant aujourd’hui. Posture misérable, des coups de lance hasardeux et manquant cruellement de force et, pire que tout, ce que la tueuse craignait le plus, une absence désastreuse d’endurance. Combien de temps l’adolescente tiendrait dans un combat seule? Sûrement pas aussi longtemps qu’il le faudrait pour en sortir en vie, et ce n’était pas une rune grise qui la sortirait de l’enfer des donjons.

Décroissant les bras de sous sa poitrine, la tueuse s'élança de quelques pas, sa botte écrasant violemment la tête du demi-macchabée encore actif, le rendant immédiatement inoffensif. La botte se leva pour venir se reposer brusquement sur l’omoplate avant que la jeune femme ne tire durement sur le poignet, emportant tout le bras avec. Une main de chaque côté du coude, tentant de garder le membre approximativement droit pour s’en servir comme d’une lance.

Avec une aisance trahissant l’habitude, les muscles de la tueuse se bandèrent avant de se détendre dans une torsion pratiquée pour utiliser tout le poids de son corps derrière son attaque, qui vint exploser l’humérus dans la tête du Kaa’rls qui tentait de revenir vers la jeune fille et briser le bras-arme au passage. Un “tsk” de désagrément pût se faire entendre alors que la prisonnière laissait tomber le reste peu ragoûtant du monstre, se glissant dans le dos du dernier encore debout pour, d’une tape dans le dos, le projeter vers la seule autre humaine de la salle.

“ Avant de penser force, pense endurance. Combien de temps tu peux tenir sans t’épuiser? Cinq minutes? Dix? Trente?”

Le but d’un donjon n’était pas d’être le premier à mettre son adversaire au sol, c’était d’être le dernier encore debout, aussi stupide à dire que cela puisse paraisse. Des donjons fermés au prix de la vie de chasseurs, c’était une histoire courante, et tout le monde le savait plus ou moins, sans que personne n’aime vraiment en parler. Si la borgne était une tank, c’était à la fois mieux et pire. On demandait rarement à un tank de tuer des monstres, mais son endurance devenait la clef, et actuellement, son endurance était un souci. Rien qui ne pouvait se travailler, mais cela prendrait du temps, et la chance de survivre.

La tueuse esquiva une flèche tirée du fond de la salle avant de riposter avec une hache de jet, qui finit sa course dans l’épaule du monstre. Les deux Kaa’rls avaient fini par sortir du sol, se révélant cette fois comme des archers. Est ce que la tank avait la capacité de gérer des attaques au corps à corps et à distance à la fois? C’était une bonne question, et une dont elle comptait bien avoir la réponse. Deux haches de jets supplémentaires fusèrent, touchant respectivement le torse, puis la tête de l’archer déjà endommagé, qui se retrouva au sol, incapable de réellement se battre.

Suite à cela, la jeune femme recula rapidement, de manière à se replacer derrière la jeune fille encore aux prises avec son mort-vivant, et dont le combat venait très probablement d’empirer maintenant qu’elle devait gérer un archer en plus. Pour autant, la prisonnière n’interviendrait pas, laissant le combat se dérouler tant que la gosse n’était pas en danger de mort. Après tout, si celle-ci mourait, le blâme lui tomberait probablement dessus…

C’est une fois le combat achevé que l’allemande reprendrait la parole.

“ Tu es comment physiquement?”

Elle laissa passer un instant de blanc un peu gêné avant de se rendre compte de la tournure de la phrase et se reprendre, non sans un toussotement.

“ Musculairement je veux dire. Visiblement, tu manques de force, mais ça c’est jouable, ça fait des siècles que des méthodes pour remplacer la force par la technique existent, à commencer par les arts martiaux, avec ou sans arme.”

Elle n’avait pas vraiment besoin de faire de démonstration pour le coup, le Japon, et les pays asiatiques en général, avaient plus que fait leur part de ce côté là. Que ce soit le Wing Chun Kuen chinois, le Jiu-Jitsu japonais ou le Muay-thaï… Sans même parler de tout le reste… Tous étaient plus ou moins connus à l'international. La jeune fille n’aurait aucun mal à trouver un bon professeur si les disciplines l’intéressaient, probablement bien meilleur que la tueuse de surcroît, au moins pour l’enseignement.

“ Aussi, tu devrais tenir ta lance plus près du corps. Te tenir de profil aussi.”

S’approchant, elle posa ses mains sur les épaules de la jeune fille pour la faire pivoter légèrement, ramenant ensuite la lance parallèle à ses épaules, très proche du corps.

“ Vu que tu as pas de bouclier, en étant comme ça tu présentes moins de surface aux monstres.”

Oui, un bouclier aurait probablement été préférable, surtout pour une “tank”, mais est ce qu’elle aurait même la force de soulever une lance pareille d’une main? Avec une arme faite sur mesure, très certainement, mais si elle devait se contenter à chaque fois de ramasser ce qu’elle pouvait… L’allemande se baissa, de manière à être à hauteur d'œil de la jeune fille, fixant le globe oculaire unique de ses yeux rouges…

Découvrir ça aujourd’hui, la réponse fît tiquer la tueuse. Est ce que la jeune femme était sérieuse? Si oui, ça compliquait les choses, et ça devenait le premier souci à régler pour elle. Elle était faible, elle ignorait comment se battre, mais ce dont elle avait réellement besoin en priorité, c’était connaître ses limites. Le point au delà duquel elle perdait en efficacité, celui au delà duquel se battre devenait compliqué et, surtout, celui au delà duquel elle se retrouvait en réel danger de mort. Connais toi toi-même…

Ceci dit, et c’était un bon point, elle apprenait vite. Ni forte ni endurante, mais intelligente, ça oui. Elle affrontait le monstre mort-vivant plus défensivement, s’immiscant dans les intervalles qu’elle découvrait et reculant pour le tuer petit à petit. L’idée était bonne… dans le cas d’un duel. Et l’archer rendait la chose différente d’un duel, preuve en était la flèche qui s’enfonça profondément dans l’épaule de la jeune fille, sans que la prisonnière ne réagisse. La sauver, oui, mais elle avait demandé à être plus forte, pas à être babysittée. On apprenait toujours mieux avec un brin de douleur. L’erreur rentrait mieux comme ça, et on avait tendance à ne pas la reproduire par la suite. Elle même pouvait en attester… Très bon point pour ne pas avoir laissé le projectile la distraire ceci-dit. Elle avait fait exactement la chose à faire, serrer les dents et continuer. A moins qu’elle ne l’ai simplement pas senti? Non, c’était peu probable au vu du bois fiché dans sa chair.

La suite était bien vue, même si elle aurait pu limiter les risques. Pouvoir blesser la main du zombie pour la forcer à s’ouvrir et donc le désarmer était bien pensé, même si elle aurait probablement pu le faire simplement en frappant le bras. Lâcher sa lance était tout aussi risqué, surtout pour se plonger dans les bras du monstre, même pour le frapper. Avec une lance japonaise, elle aurait pu emporter le monstre simplement en l’empalant et garder une distance de sécurité, mais avec une lance celtique telle que celle qu’elle portait… Pour le coup, la tueuse ne pouvait pas approuver la méthode beaucoup trop risquée. Elle avait une arme et aurait dû s’en servir plutôt que tout risquer en la lâchant.

Pour autant, la stratégie fonctionnait, avant qu’elle ne se serve du corps mort pour se protéger jusqu’à atteindre l’archer et le neutraliser, salement et bruyamment, mais efficacement. Une scène dont la prisonnière ne détourna pas les yeux, curieuse de voir si un dernier coup d’éclat du monstre allait arriver ou s’il allait simplement mourir ainsi, le crâne lentement piétiné par une jeune fille borgne de rang E… Et non, le monstre ne se releva pas mû par une puissance soudaine ou quoi que ce soit, il se contenta de mourir entre deux râles d’agonies.

Ceci dit, on en revenait toujours au même point, l’argent. La tueuse avait bien vu la différence aussi quand elle avait fugué. Ce passage de la richesse abondante à la pauvreté la plus totale avait fait mal de son côté aussi. Elle qui n’avait jamais manqué de rien s’était soudainement retrouvée à ne posséder que les vêtements qu’elle avait sur le dos et à devoir courir dans les donjons pour gagner sa pitance et avoir un toit au-dessus de sa tête. La seule différence, c’est qu’elle avait eu un corps en bonne santé…

Elle aurait pu aider en soi, de l’argent elle en avait, mais qu’est ce qu’elle avait à y gagner, elle? On pouvait le dire comme on le voulait, ça ne servait à rien de se voiler la face, l’allemande était une égoïste solitaire pure et dure. Une opportuniste aussi dans certains cas. Faire quelque chose sans raison, ce n’était pas dans ses habitudes. Même cette leçon qu’elle donnait n’était pas innocente, puisqu’elle était payée en divertissement… entre autres.

Cet œil gris cependant… Qu’est ce qui pouvait bien se passer derrière? La jeune fille avait-elle peur? Craignait-elle pour sa vie comme d’autres avant elle? Elle n’avait pas paru terrifiée, mais peut-être le cachait-elle bien. Déterminée à finir ce donjon? A apprendre? Indifférente, mais profitant de l’opportunité? Autre chose encore? La tueuse n’avait jamais vraiment été capable de comprendre les gens autour d’elle, même quand ils s’exprimaient, alors cet air vaguement neutre et cet œil inexpressif… C’était une forteresse imprenable pour elle.

Finalement, l’hospitalisée détourna le regard avec une légère moue, que la prisonnière interpréta comme une légère gène… Avant de découvrir qu’elle avait tort au vu de la réaction de la concernée. Les appareils photos ne fonctionnaient même pas en donjon de toute manière, et alors que l’allemande s’apprêtait à ouvrir la bouche pour le faire remarquer, elle comprit que c’était là la plaisanterie. Une plaisanterie? Avec elle? Un sourire en coin apparût sur son visage alors qu’elle répondait d’un ton faussement dramatique.

“ Hélas, mes talents de peintre sont bien inférieurs à mes talents de musicienne, et je doute qu’on ai le temps ou le matériel pour ça…”

Constatant que la jeune fille était redevenue sérieuse, l’allemande reprit le sien également, répondant très honnêtement à la remarque.

“ Il n’y a pas de secret ni de miracle. C’est stupide, mais c’est un travail de tout les jours, sauf si tu es un mage, auquel cas… Je n’ai aucun conseil à donner, j’ai aucune idée de comment ils font leurs affaires. Connaître ses limites, s’assurer d’avoir un corps fonctionnel et en forme, apprendre à se défendre, avec ou sans arme, affiner ses sens… Ça paraît bête, mais c’est comme pour tous les domaines. Les bases ne te trahissent jamais.”

Ceci dit, ce à quoi la tueuse ne s’attendait pas, c’était des remerciements. De quand datait les derniers qu’elle avait reçu? Même quand elle était chasseuse c’était assez rare, parce que la plupart du temps, elle faisait peur aux gens. Rougissant légèrement, presque timide, elle se détourna avant d’aller abattre sa hache sur le corps de l’archer zombie qu’elle avait entamé sans finir, sans que rien ne se passe. Probablement pas une question de monstres donc. Est ce que ça voulait dire qu’ils pouvaient passer les pièces sans tuer quoi que ce soit? Probablement pas…

Si tuer les monstres ne suffisait pas, il s’agissait probablement d’un nouveau système de téléporteur, d’un genre ou d’un autre, et il suffisait de fouiller. Sans un mot, elle commença à retourner de fond en comble le cimetière, sans résultat. La croix chrétienne était pourtant bien en vue au milieu du cimetière, et la toucher suffirait à les amener dans la salle suivante, de nouveau l’intérieur de l’église, une dizaine de figures en position de prière qui se releveraient lentement pour venir vers les deux femmes. Sous la capuche de pénitent, leur corps en putréfaction continuait de se déplacer, des râles échappant de leurs gorges tuméfiées. Leur agressivité était certaine, la seule question c’était… comment est-ce que les chasseuses allaient se débarrasser d’eux?

“J’aurais aimé te voir essayer”. Plaisanterie prolongée, honnêteté déconcertante ou compliment vide; la jeune femme n’en savait rien. Les gens étaient trop compliqués pour qu’elle s’amuse à chercher à tout déchiffrer et c’était plus simple de juste ne rien prendre à la lettre. De toute manière, ses compétences en termes de dessin étaient réduites, si la malade voulait se faire peindre, elle ferait mieux d’aller voir un professionnel sous peine d’être très déçue du résultat.

Le souci était là pourtant, se disait l’allemande en fouillant le cimetière. La jeune femme n’avait strictement aucune idée de comment interagir avec l’adolescente. Celle-ci semblait pourtant savoir qui elle était, puisqu’elle avait pu la nommer, elle paraissait juste… s’en moquer? La prisonnière peinait à décrypter le comportement de la borgne. D’habitude, les gens qui la reconnaissaient ne l'approchaient pas à moins de cinq mètres au minimum, et même ceux qui ne la reconnaissaient pas préféraient se tenir éloignés, simplement en vertu des attaches qui la retenaient et du convoi carcéral qui l’accompagnait.

Elle avait déjà été approchée, à l’occasion, mais le plus souvent, elle pouvait renifler la mauvaise foi et sentait quand les gens voulaient juste l’utiliser pour une raison ou une autre, mais là… La jeune fille avait ouvertement posé ses intentions sur la table, plutôt poliment de surcroît et n’avait simplement pas l’air d’avoir peur d’elle, allant jusqu’à plaisanter timidement et la remercier, une grande source de confusion pour la tueuse. Cette espèce de petite chaleur dans sa poitrine, c’était ça la chaleur humaine, l’impression d’avoir une amie? C’était une sensation étrange, mais pas désagréable.

Pourtant, elle ne répondit pas lors de la taquinerie supplémentaire, sentant instinctivement que, peut-être, ce n’était pas une bonne idée. Comme si, quoi qu’elle dise, elle allait faire une bêtise et s'embarrasser encore plus, ou causer une plus grande confusion. Non, c’était sûrement mieux de se taire, quand bien même elle avait l’impression d’avoir le visage et les oreilles en feu. Heureusement, le cimetière était plutôt sombre, car elle avait le sentiment que si la jeune fille s’en rendait compte, elle ne la lâcherait pas avec ça. Plus heureusement encore, que ce soit parce qu’elle ai touché à quelque chose ou parce que sa collègue l’avait fait, le décor changea pour les amener vers l’intérieur de l’église alors que l’allemande faisait de son mieux pour reprendre contenance.

Une dizaine de monstres humanoïdes, visiblement des croyants transformés, et un aveu clair de faiblesse de la part de la lancière improvisée.

“ Je ne t’aurais pas cru si tu avais dit le contraire honnêtement. Mais c’est bien. Il vaut mieux une bonne dose d’humilité et demander de l’aide que d’avoir un ego surdimensionné et mourir bêtement de s’être surestimé.”

C’était un conseil évident, surtout pour une chasseuse de bas rang, mais quand ils commençaient à monter, surtout s’ils montaient rapidement, la plupart avaient besoin d’une bonne claque de réalité, elle compris à son époque. Son premier donjon de rang B l’avait bien remise à sa place et lui avait fait comprendre que, rang B ou pas, les donjons n’étaient pas une plaisanterie. Le groupe de monstre était scindé en deux, six zombies sans armes qui s’étaient rués vers les deux femmes et le reste dans le fond, sans arme mais commençant à agiter les mains.

La borgne s’en sortait, tant bien que mal, face à ses premiers adversaires, et la tueuse entra en action hache en main. S’élançant vers les derniers guerriers zombifiés, la jeune femme intercepta leur course vers la borgne, la lame de la hache explosant le crâne du premier dans une gerbe de sang avant de s’extirper dans un bruit de succion écoeurant. En restait deux, et la tueuse lâcha sa hache pour saisir d’une main la gorge de chacun d’entre eux, le sang sous sa main gauche se mêlant à celui du mort-vivant qui se mit à hurler, comme s’il comprenait ce qui allait se passer. Disposait-il d'un intellect minimal ou s'agissait-il d'une simple coïncidence?

La prisonnière n’en savait rien, et pour être honnête elle s’en fichait. L’important, c’était que son homme de paille était en place, et alors que leurs bras s’agitaient, tentant de la blesser, elle se mit à courir, droit vers les monstres restés près de l’autel, prête à intercepter les sorts projetés par les mages. Un rayon passa près d’elle, droit vers la borgne, que la tueuse intercepta d’un mouvement de tête, un nouveau cri du zombie retentissant lorsque le rayon percuta la chair épargnée de l’allemande. Il ne lui restait plus qu’à atteindre le pack de sorciers, et la chose serait résolue… De son côté du moins.